Je suis très admirative du parcours intellectuel et humaniste de Robert Badinter que j’ai découvert à travers la lecture de plusieurs de ses écrits, et plus particulièrement L’exécution qui, à l’époque, m’avait profondément marquée. Pourtant, quand il y a quelques mois, Robert Badinter a publié Idiss aux Editions Fayard, je n’ai pas été tentée de le lire. Idiss raconte, en effet, la vie de la grand-mère maternelle de Robert Badinter, juive née en Bessarabie (province russe à l’époque, aujourd’hui rattachée à la Moldavie) qui mourut à Paris en 1942. Toute grand-mère de Robert Badinter qu’elle soit, Idiss ne m’intéressait pas. J’avais bien tort. C’est en tout cas l’opinion qui m’est venue quand j’ai finalement lu ce livre, qu’un membre de ma famille m’avait prêté.
Pourquoi avais-je tort ? Déjà parce que la plume de Robert Badinter est belle. Fluide, teintée d’émotion et de nostalgie, elle se lit très facilement. Ensuite, parce que, finalement, l’histoire de cette femme, qui nous entraîne de la Russie des années 1910 pour s’achever pendant les heures les plus noires de la seconde guerre mondiale en France est vraiment intéressante.
Robert Badinter retrace la vie de cette grand-mère tant aimée avec infiniment de respect. D’abord en Bessarabie où elle vivait, illettrée, ne parlant que le yiddish, pliant sous le poids de l’antisémitisme, d’un côté, et des traditions juives, de l’autre, pauvre, avec un mari plus prompt à dépenser l’argent du ménage dans les jeux d’argent qu’à l’aider dans sa vie de femme au foyer. Puis, à Paris, où elle rejoint, avec son mari et sa fille, ses deux fils aînés, partis depuis longtemps, poussée par la misère et par les menaces contre les juifs dans une Russie toujours plus antisémite. Robert Badinter décrit avec beaucoup de justesse le choc que fut pour cette femme l’arrivée à Paris : Le soulagement d’abord mais aussi la peur de ne pas s’intégrer et la nostalgie du pays, aussi rude soit-il. Et finalement, l’immense reconnaissance pour sa nouvelle patrie, cette République française qui les avait intégrés comme les leurs, elle, son mari, et ses enfants. On imagine combien la montée de l’antisémitisme en France, puis la guerre et enfin les exactions commises contre les juifs fut difficile à admettre pour cette femme qui vouait une admiration sans borne à son pays d’adoption, qui avait permis la réussite sociale et professionnelle de ses enfants : Partie de rien, sa fille Chifra, mère de Robert Badinter, parviendra, en effet, à mettre sur pied, avec son mari Simon, un florissant commerce de fourrures qui leur donnera accès à une vie bourgeoise, dans les beaux quartiers de Paris. Un commerce qui leur sera finalement confisqué dans les années 1940, selon les lois anti-juives de l’époque.
Quand Idiss Rosenberg s’éteint en 1942, vaincue par le cancer qui la rongeait depuis des mois, elle est seule avec son fils Naftoul. Sa fille Chifra, son gendre Simon et ses deux petits-fils, Claude et Robert, se sont résolus, la mort dans l’âme, à quitter Paris quelques semaines plus tôt et à se réfugier en zone « libre », près de Lyon, terrorisés par les rafles qui se multiplient. Lorsque Robert Badinter prend la plume pour décrire ce moment, on sent encore toute sa tristesse de n’avoir pu assister aux derniers moments de sa grand-mère, toute son amertume de l’avoir vu perdre la vie à une période aussi terrible pour les juifs. Une mort, qui, pourtant lui aura finalement éviter de supporter d’autres drames : Arrêtés et internés en camp d’extermination quelques mois plus tard, Simon Badinter et Naftoul Rosenberg n’en reviendront jamais.