Après une petite interruption due à une inspiration un peu en berne, me revoici fidèle au poste pour le premier rendez-vous de cette année 2017 de #10dumois, un défi de blogueuses et blogueurs initié par mon amie Egalimère ! Sur le thème imposé de « Bonne et heureuse année », je vous propose le texte ci-dessous. Vous allez être étonnés… J’ai une nouvelle fois convoqué les souvenirs d’enfance ! Bonne lecture ! A la fin du texte, vous trouverez, comme à l’habitude, un lien qui vous permettra de lire les textes que ce thème a inspiré aux autres blogueurs participants.
Pour la première fois, je sais. Du haut de mes 11 ans, je sais ce que je vais acheter avec la pièce de 10 francs que Mme D., notre voisine de la rue des trois fermes, va me donner ce soir.
Nous sommes début janvier et comme chaque année, je dois, avec mes parents et mes frères, allaient présenter mes vœux de bonne année et de bonne santé à Mme D. et à son mari, Emile. Mme D. s’appelle Marcelle. Mais on a toujours dit Mme D. Alors qu’on n’a jamais appelé Emile, M. D. Ils sont tous les deux agriculteurs à la retraite et vivent encore dans la ferme qu’ils ont exploitée pendant plus de 40 ans. Mme D. est gentille. Elle est beaucoup plus jeune que son mari qu’elle a épousé quand elle avait seulement 16 ans. Elle n’a pas eu d’enfants. On n’a jamais su pourquoi. Mais à la façon qu’elle a de nous regarder, mes frères et moi, d’ouvrir sa porte pour nous donner quelques bonbons quand on passe devant chez elle le soir en rentrant de l’école, de se tenir au courant de nos devoirs et de nos notes, on se doute qu’elle aurait bien aimé en avoir des enfants. Emile, c’est moins sûr. Il nous fait peur, avec sa canne qu’il traîne toujours derrière avec lui, avec sa claudication appuyée, avec ses vieux chandails, avec ses pantalons de grosse toile tenus par une paire de bretelles et avec sa manie qu’il a de bougonner sans cesse. Et même de crier parfois. Après des chats errants. Après des gamins du quartier qui cassent les carreaux de ses étables au lancer de cailloux. Après le facteur quand il arrive en retard… Emile, c’est pas un marrant mais il aime bien nous voir passer le soir avec nos cartables sur le dos. Il nous appelle « la dernière équipe » parce qu’il a bien compris que notre petit coin de terre à quelques encablures de la mer du Nord est en train de s’industrialiser bien vite et que les agriculteurs, comme mes parents, ne vont plus faire long feu ici. Emile en est persuadé : Mes frères et moi, on est les derniers enfants qu’ils voient passer devant chez lui sur la route qui mène à la ferme familiale. La deuxième de la rue des trois fermes si bien nommée. La première, elle, il y a déjà un bout de temps que ses propriétaires en ont été expropriés, à cause de la centrale nucléaire. Il a du flair Emile. Et il a surtout raison.
Dans les années 70-80, aller présenter ses vœux aux agriculteurs retraités de notre petite ville est un devoir pour les agriculteurs en activité. Oublier serait considéré, au mieux, comme un manque d’éducation certain, au pire, comme un affront. Alors, tous les ans, le même rituel revient : « Bonne année ! Bonne santé ! Surtout la santé, hein ! ». Deux bises, une poignée de main, un café sucré, des gaufres sèches maison parfumées au rhum, une table de cuisine avec sa toile cirée abîmée, un poêle à charbon qui ronfle dans la cheminée et des discussions qui s’éternisent. Pour mes frères et moi, c’est un vrai pensum. Au bout de 10 minutes, on n’en peut plus de cette sagesse obligée, assis sur nos chaises. On voudrait sauter sur nos pieds, courir, se taquiner, jouer. Le regard de maman nous en dissuade.
Quand vient le tour de Mme D. et d’Emile, on est contents, pourtant. Parce que pour ces vœux-là, on sait qu’à la fin, il y a toujours une récompense. Une récompense en forme de pièce de 10 francs que Mme D. va chercher dans le fond de son petit porte-monnaie noir à fermeture éclair et qu’elle donne à chacun de nous trois avec un bon sourire heureux. Presque religieusement. « Qu’est-ce qu’on dit ? ». Maman, qui a fait de la politesse l’une de ses priorités éducatives, nous rappelle à nos obligations. « Merci Mme D. », répondons-nous en chœur.
Des dizaines d’années après, je me souviens encore de cette grosse pièce de 10 francs que je faisais rouler au creux de ma main et que je contemplais avec un rare bonheur, des promesses plein la tête. A l’époque, nos parents ne nous donnaient pas d’argent de poche. Cette pièce valait donc toutes les richesses et me procurait un bizarre sentiment de puissance : Maman nous permettait en effet de la dépenser comme bon nous semblait. Généralement, nos 10 francs se transformaient en babioles diverses dès le lendemain de notre visite chez Mme D. et Emile. Ils donnaient lieu aussi à de longs palabres avec mes frères, bien avant de les recevoir. Qu’allions nous donc bien pouvoir faire avec nos 10 francs ? A ce petit jeu, nous y allions de surenchère en surenchère, dépensant chacun au moins 10 fois nos 10 francs.
Pour la première fois, je sais. Du haut de mes 11 ans, je sais ce que je vais acheter avec la pièce de 10 francs que Mme D., notre voisine de la rue des trois fermes, va me donner ce soir. Je vais demander à maman la permission d’aller jusqu’à la petite presse-librairie du centre-ville. Je vais y acheter un petit cahier à gros carreaux, un crayon de bois et une gomme. C’est le matériel dont j’ai besoin pour écrire mon premier roman.
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