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L’autre qu’on adorait

l'autre qu'on adoraitC’est au gré de mes déambulations à la médiathèque de ma ville que j’ai découvert Catherine Cusset. J’en avais vaguement déjà entendu parler et c’est parce que « son nom me disait quelque chose » que j’ai eu envie de feuilleter L’autre qu’on adorait paru il y a quelques années chez Gallimard. Le thème abordé, le suicide d’un proche, m’a touchée. J’ai donc emprunté le roman.

Je l’ai su en m’informant sur internet : Catherine Cusset, enseignante à l’université de Yale aux Etats-Unis, a pris l’habitude d’utiliser des faits de vie comme matière première de ses romans. Ces écrits tiennent donc plus du récit que du roman à proprement parlé. Ainsi pour L’autre qu’on adorait qui raconte l’histoire de Thomas, ancien amant de la narratrice devenu l’un de ses plus proches amis, qui s’est suicidé à l’âge de 39 ans. Je ne viens ici en rien déflorer le suspens puisque le livre s’ouvre sur ce drame qui bouleverse la narratrice. Elle entreprend alors de raconter la vie de Thomas et sa descente aux enfers autant personnelle que professionnelle qui le conduira au suicide. Thomas, si intellectuellement brillant, spécialiste de Marcel Proust sur lequel il a écrit sa thèse, rate tout pourtant : Son entrée à Normale Sup’, d’abord, puis sa vie d’étudiant puis d’enseignant aux Etats-Unis. Comme si le jeune homme était habité par le mauvais oeil, tout se dérobe sous ses pieds au moment même où il croit atteindre le succès. Alors que ses amis connaissent une belle réussite professionnelle, il est condamné à voir sa carrière d’enseignant décliner, et à accepter des postes de moins en moins prestigieux dans des universités de moins en moins prestigieuses. Jusqu’à tout perdre. Sa vie amoureuse est à l’avenant : chaotique, instable, grotesque presque.

Dans son roman, Catherine Cusset entend expliquer ce qui a conduit Thomas à devenir ce qu’il est devenu : Un homme incapable de prendre une décision, continuellement dans l’excès, ayant érigé la procrastination en art de vivre. Son portrait très sensible de Thomas nous le rend très sympathique, malgré l’agacement que son comportement souvent puéril provoque. Le fait que l’auteur utilise une forme narrative originale, l’emploi du « tu » pendant tout le roman, comme si Thomas réalisait l’action en temps réel, participe à le rendre plus humain encore. On souffre pour lui et avec lui. Avec L’autre qu’on adorait, Catherine Cusset plonge aussi son lecteur au coeur du système universitaire américain, si différent du nôtre. J’avoue avoir beaucoup aimé cette peinture de l’Amérique.

Si j’ai aimé la lecture de ce roman pendant laquelle je ne me suis pas ennuyée une seule minute, j’ai néanmoins refermé le livre avec un étrange sentiment de malaise. Sans doute Catherine Cusset, révoltée par la mort de Thomas, a-t-elle voulu rendre hommage à sa courte vie en écrivant ce livre. Mais, finalement, cela nous apporte quoi, à nous lecteurs, de connaître cette histoire, de vivre la descente aux enfers de Thomas ? Cet homme aurait-il apprécié que sa vie, ses blessures, sa maladie (on apprendra en effet au cours du livre que Thomas souffre d’un trouble psychiatrique) soient ainsi montrés au public. Lisant ce livre, je me suis vue un peu dans la posture du voyeur. Et ce n’était pas très agréable.

Chère Mrs Bird

Le Cercle Belfond, éditeur français de Chère Mrs Bird, m’avait vendu ce premier roman de la Britanique AJ Pearce comme « une ode à l’amitié et aux femmes dans la droite ligne de Le Cercle littéraire des Amateurs d’épluchures de patates ». Comme j’avais adoré ce roman épistolaire lu il y a bien longtemps, je me suis laissée tenter par la participation à un concours proposé par cette Maison d’édition. Ce qui m’a permis de gagner ledit roman.

Il est toujours délicat de chroniquer négativement un livre offert par une Maison d’édition. C’est pourtant ce que je m’apprête à faire. L’honnêteté m’oblige en effet à reconnaître que j’aurais pu aimer Chère Mrs Bird si je l’avais lu quand j’avais une quinzaine d’années. Alors que je suis entrée dans la deuxième moitié de la quarantaine (soupir…), je dois avouer que la naïveté de l’histoire et ses personnages très caricaturaux m’ont ennuyée de bout en bout, pour ne pas dire agacée. Et je ne parle pas de « l’happy end » d’une invraisemblance assez déroutante. Quant à la filiation avec Le Cercle littéraire des Amateurs d’épluchures de patates, je la cherche encore…

Pourtant, l’histoire était prometteuse, en tout cas, à mes yeux. Nous sommes au début des années 1940. Emmy, jeune londonienne de 22 ans, rêve de devenir correspondante de guerre, alors que les bombes allemandes terrorisent chaque nuit la capitale britannique. Elle croit défaillir de bonheur quand elle est recrutée par un prestigieux journal britannique pour être assistante de rédaction. Mais elle déchante vite quand elle comprend qu’elle va travailler, en fait, pour une autre publication du groupe de presse, beaucoup moins prestigieuse, où elle aura en charge le tri du courrier des lectrices, sous l’oeil sévère de la rédactrice-en-chef adjointe, Mrs Bird. Cette dernière a une conception pour le moins curieuse de cette rubrique. En effet, ne peuvent recevoir de réponse que les lettres qui n’abordent aucun sujet « scabreux » : couple, sexualité, adultère, passion amoureuse… Evidemment, Emmy est bien décidée à passer outre les consignes de la vieille Mrs Bird… A ses risques et périls…

D’entrée, l’abus de l’usage des majuscules dans la typographie m’a indisposée. Cette façon d’écrire ne fait que renforcer l’idée qu’Emmy est une gentille écervelée immature. Elle saute d’ailleurs comme un cabri quand elle apprend qu’elle va intégrer la rédaction d’un journal. Je ne parle même pas des redites à profusion sur le fait « qu’elle rêêêêêêve de devenir correspondante de guerre ! » Elle doit bien le répéter une dizaine de fois sur les dix premières pages. Bref, ce roman ne commençait pas de la meilleure façon qui soit.

Ce roman n’est pourtant pas déplaisant de bout en bout. Toute la partie sur le quotidien des Londoniens pendant les bombardements et le rôle de bénévole d’Emmy au centre d’appels chez les pompiers les soirs d’alerte sont plutôt bien rendus. C’est d’ailleurs pour cet aspect que je n’ai pas lâché le livre avant la fin. Mais le tout est desservi par des personnages trop caricaturaux, Mrs Bird en tête, sorte de vieille rombière obnubilée par les bonnes moeurs qui, bien entendu, terrorise toute la rédaction, et pollué par une histoire d’amitié et une histoire d’amour mièvres au possible, auxquelles on ne croit pas deux secondes. Sans parler du retournement final, aussi crédible qu’un carnaval sans beuveries à Dunkerque. Bref, je n’ai pas envie de m’étendre plus longuement sur ce roman pour midinettes qui va sortir de ma mémoire aussi vite qu’il y est entré.

Celle qui fuit et celle qui reste (L’amie prodigieuse III)

celle qui fuitJe viens de terminer le 3ème tome de la saga romanesque de l’énigmatique Elena Ferrante, commencée avec l’amie prodigieuse et parue chez Gallimard. Dans celle qui fuit et celle qui reste, nous retrouvons bien-sûr les deux héroïnes napolitaines, Lila et Elena. Et c’est un vrai bonheur tant je me suis attachée (comme une très grande majorité de lecteurs à travers le monde) à ces deux personnages, à Naples et à toute l’Italie où se déroule cette histoire. Lila et Elena sont maintenant deux jeunes femmes qui approchent de la trentaine, dans les années 1970. « Celle qui reste », c’est Lila. Séparée de son mari, le riche commerçant Stefano, suite à sa liaison passionnée avec Nino, elle vivote désormais avec Enzo, un ami d’enfance, et son fils Gennaro, dans un quartier misérable de Naples. Employée comme ouvrière dans une usine de charcuterie, elle trime pour un salaire de misère tout en subissant les mains baladeuses de ses collègues et de son patron. Mais Lila reste fière, debout, et continue de faire l’admiration de la narratrice, Elena, « Celle qui fuit », avec laquelle l’écart social ne cesse de se creuser. Diplômée de l’université, écrivain qui a rencontré un certain succès dans toute l’Italie avec son premier roman, elle est désormais mariée à Pietro, fils d’intellectuels milanais et lui-même professeur d’université à Florence. Mère de deux petites filles, Elena s’ennuie intellectuellement dans sa vie de femme au foyer, sans trouver l’ambition d’écrire un nouveau roman et déçue par un mari dont elle ne supporte bientôt plus les angoisses existentielles.

Celle qui fuit et celle qui reste continue de disséquer le sentiment amical qui lie « à la vie, à la mort », Lila et Elena. Et pourtant, les deux amies, nées dans les années 40 dans le même quartier populaire de Naples, filles d’ouvriers bien plus à l’aise avec le patois napolitain qu’avec l’italien, ont désormais des vies diamétralement opposées, fruit de leur choix de vie, entre Lila qui a arrêté ses études au collège et s’est mariée à 15 ans et Elena qui a réussi à convaincre ses parents de la laisser poursuivre des études, et ainsi, échapper à son milieu. Tout n’est pas aussi simple pourtant : Elena envie la volonté farouche de Lila de s’en sortir et son engagement auprès des salariés exploités, elle qui peine à trouver sa place dans un milieu intellectuel qui reste condescendant vis-à-vis de ses origines sociales modestes. Quant à Lila, elle envie la réussite sociale et intellectuelle d’Elena et son beau mariage inespéré avec un professeur d’université, riche, cultivé et éduqué.

Lisant ce 3ème tome, je me suis souvent demandée comment cette amitié, faite aussi de trahisons, de compétition et de jalousie de part et d’autre, pouvait tenir. Comme si Elena et Lila, au delà de tout ce que les oppose, avaient besoin l’une de l’autre pour avancer. A la fin des deux premiers tomes, Lila donnait l’impression de gagner sur Elena. C’est l’inverse qui se produit ici avec une Elena qui parvient enfin à se libérer de l’emprise de Lila, afin de vivre sa vie comme elle l’entend, quitte à envoyer promener tous ses principes. Il me tarde vraiment de savoir comment ces deux-là vont évoluer. Je m’étais jurée d’attendre la sortie « en poche » du 4ème et dernier tome de la saga, L’enfant perdue, sorti il y a quelques semaines. Après avoir refermé mon livre hier soir, je ne suis plus sûre de pouvoir attendre…

L’amie prodigieuse

l'amie prodigieuseJe ne connaissais pas du tout Elena Ferrante. J’en ai seulement entendu parler lorsqu’elle a sorti il y a quelques mois le 3ème tome de sa trilogie largement autobiographique L’amie prodigieuse, dont l’émission littéraire de France 5 « La grande librairie » s’est fait l’écho. Le fait qu’Elena Ferrante soit le pseudonyme d’une auteure italienne dont on ne sait rien, qui n’a jamais montré son visage, qui a même refusé un prix littéraire prestigieux pour rester incognito, malgré les centaines de milliers de livres qu’elle vend partout dans le monde, m’a fascinée et intriguée. J’ai donc acheté le premier tome de la trilogie, L’amie prodigieuse, initialement sorti chez Gallimard, mais désormais disponible en format poche.

La libraire m’avait mise en garde, me précisant que le premier tome de la saga servait aussi à installer toute une série de personnages, ce qui avait découragé certains lecteurs, perdus au milieu de personnages dont ils avaient du mal à retenir les noms et les liens les uns avec les autres. Alors, oui, c’est vrai. Beaucoup de familles à rallonge se croisent dans ce quartier populaire de Naples des années 50, entassées dans leur petit appartement au confort sommaire. Il y a les fils et les filles du garagiste, du pâtissier, du cordonnier, du conducteur de train, poète à ses heures. Il y a aussi les fils d’un riche caïd dont on dit qu’il pourrait être lié à la Camorra napolitaine. Et puis, il y a Elena, fille d’un portier de la mairie de Naples, la narratrice de cette histoire, et sa meilleure amie, Lila. C’est de cette amitié entre deux enfants, puis deux adolescentes dont il est question dans ce premier tome. Une amitié très forte, presque fusionnelle entre deux filles, issues du même milieu populaire mais dont les destinées vont suivre des chemines différents, l’une poussée par son institutrice à poursuivre ses études, l’autre se mariant à 16 ans avec un riche artisan du quartier. L’une échappant à son milieu, l’autre s’y complaisant, en toute connaissance de cause. Voilà résumée en quelques lignes l’histoire de L’amie prodigieuse.

Je dois avouer que le livre à peine refermé, je n’avais qu’une envie : me précipiter sur le 2ème tome afin de savoir comment Elena et Lina allaient évoluer et devenir adulte. Parce qu’Elena Ferrante a une très belle plume, parce qu’elle décrit avec un talent extraordinaire la Naples populaire des années 50, dont elle en restitue l’ambiance avec bonheur, parce qu’elle sait faire aimer ses personnages, mêmes les moins sympathiques, parce qu’elle relate avec beaucoup de finesse les hauts et les bas des relations humaines et parce qu’elle glisse des touches d’humour jubilatoire au fil des pages. Si vous êtes fan des grandes sagas familiales, si vous avez envie de vous plonger dans l’ambiance populaire du Naples des années 50, alors, précipitez-vous sans tarder sur L’amie prodigieuse. Vous ne pourrez pas être déçus. Pour ma part, je m’en vais me plonger dans le tome 2.

A noter que cette trilogie est en passe de devenir une quadrilogie puisque le quatrième et dernier tome de la saga doit sortir cet automne. Il vous reste quelques mois pour avaler les trois premiers !

 

Mes amis devenus

mes-amis-devenusL’écrivain de littérature jeunesse, Jean-Claude Mourlevat, poursuit son incursion dans la littérature adulte avec un deuxième roman, Mes amis devenus. (Fleuve éditions). Seul cette fois, après un premier roman épistolaire jubilatoire, Et je danse aussi, écrit à quatre mains avec Anne-Laure Bondoux. (Ma chronique enthousiaste de l’époque est à retrouver ici).

Avec Mes amis devenus, Jean-Claude Mourlevat prouve qu’il a vraiment eu une excellente idée de s’autoriser à écrire pour le public adulte. Son roman est tout simplement enthousiasmant, jubilatoire, drôle, humain, sensible. Bref, un immense plaisir de lecture.

Je vous livre ici un résumé de l’histoire : Un écrivain à succès reçoit un jour une proposition pour le moins inattendue de son meilleur ami, Jean, qu’il connaît depuis le lycée. Et s’ils organisaient un week-end sur l’île d’Ouessant avec leurs trois autres amis d’enfance, Lours, Mara et Luce qu’ils n’ont pas revus depuis quarante ans et avec lesquels ils ont vécu mille et une aventures à l’époque ? Un peu réticent, notre héros finit pas accepter la proposition. Que sont ses amis devenus ? Arrivé en éclaireur dans le petit logement loué pour l’occasion, il attend l’arrivée des quatre autres au port du Stiff. Il comble ce moment de solitude en se souvenant de son enfance, au fin fond de la campagne auvergnate, de ses années lycée, de ses amis, de ses parents éleveurs de pintades et de ses grands-parents. Puis, vient le temps des retrouvailles. Que sont ses amis devenus ? Quels non-dits, quelles blessures anciennes, quels actes manqués vont-ils ressurgir ? Et pourquoi donc Jean a-t-il voulu organiser ce week-end ?

Jean-Claude Mourlevat excelle dans l’art de restituer une époque, une ambiance, des situations drôles, émouvantes ou tendres. La lecture des souvenirs d’enfance et d’adolescence du héros sont un pur moment de bonheur, tant y sont mêlés tendresse, humanisme et humour, dans une France des années 70, parfaitement décrite. L’auteur excelle également dans l’art d’écrire des dialogues justes, mordants, bref, qui sonnent vrais. Il excelle enfin dans l’art de surprendre son lecteur. C’est simple : On ne lit pas son roman, non, on est dans le roman, avec les personnages, à vivre l’histoire à leurs côtés. Finir un livre de Jean-Claude Mourlevat a donc un côté tragique : On a réellement l’impression de quitter des amis avec lesquels on a passé un très bon moment et que l’on ne reverra plus.